Description
Cette sculpture de calcaire représente une Vierge de Pitié : après la descente de la croix, Marie tient Jésus sur ses genoux et constate la mort de son enfant. Ce moment très émouvant ne se trouve pas dans la Bible mais est une représentation d’écrits apocryphes. Ces thèmes sensibles se propagent en Europe avec les moines et le mouvement de la Devotio moderna : un courant de pensée qui apparaît dans l’aire germanique à la fin du XIVe siècle avant de se répandre en Europe. La volonté première de ce mouvement est de réformer la base de l’Église, que les fidèles puissent se réapproprier leur relation au Christ et à Dieu en supprimant les intermédiaires. Via des textes et des oeuvres variés, on s’insiste sur l’humanité du Christ et des personnages saints pour faire d’eux des modèles de vie et de piété mais des modèles accessibles. Ainsi la foi devient plus active et l’Homme devient une source de son propre Salut : les expériences terrestres sont des occasions d’imiter le Christ pendant sa propre vie sur Terre, d’agir comme lui et ainsi mériter le Salut.
C’est également à cette période que se développe la dévotion à la Vierge, notamment à travers le thème de la Vierge de Pitié qui rencontre un grand succès pendant tout le XVe et XVIe siècle, en Europe du Nord et en Italie. C’est la douleur de la Vierge, la douleur d’une mère qui est présentée aux fidèles à travers des oeuvres aux tailles variées.
En s’adressant aux spectateurs, Marie invite à la réflexion et à la méditation : : « Je m’adresse à vous, à vous tous qui passez ici ! Regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur, A celle dont j’ai été frappée ! L’Éternel m’a affilée au jour de son ardente colère. » (Lamentations 1 : 12). En fonctions des sources littéraires, des périodes, des zones géographiques et des demandes des commanditaires ; les Vierges peuvent varier dans leur attitude : certaines se lamentent, pleurent, prient, se penchent sur le corps du Christ ou expriment une certaine acceptation. Notre Vierge se distingue par une grande dignité et une expression sereine face à la mort de son fils : elle accepte le sacrifice de Jésus pour sauver l’humanité.
Notre Vierge de Pitié est Champenoise. Nous pouvons le voir à l’allongement des membres du Christ ; à l’aspect juvénile de Marie, son visage de jeune femme malgré son âge mûr ; et l’idéalisation des traits des personnages (les visages ovoïdes, les yeux en amande, les traits fins, petit nez, front bombé pour les femmes), qui sont des éléments caractéristiques de la sculpture de cette région.
Le traitement des textiles est également un élément reconnaissable de la sculpture champenoise. En effet, après le Temps des Malheurs qui parcourt tout le XVe siècle, la Champagne retrouve une situation politique, sociale et économique favorable. De cette période riche qui commence, les bourgeois marchands tirent leur épingle du jeu : les affaires prospèrent dans les villes, notamment le milieu du textile qui se développe fortement. Voulant se donner des aires de noblesses, ces bourgeois achètent des terres, des titres, épousent des femmes nobles et passent des commandes d’art religieux tels de véritables mécènes. Il est donc normal que les personnages des oeuvres qu’ils commandent soient richement vêtus ; et que les habits soient travaillés. Sur notre oeuvre, outre Jésus portant son traditionnel périzonium avec un remarquable travail fait sur les plis du tissu ; Marie porte une robe dorée, un voile guimpe à mentonnière, et est drapée d’un long manteau bleu à bordure doré et à la doublure rouge. Le pan de ce long manteau est ramené sur le devant et lui recouvre les jambes. Notons la souplesse du drapé et le rendu des plis du tissu lourd, qui reflète l’intérêt des Champenois (et des commanditaires) pour les vêtements et l’industrie du textile.
Autre élément caractéristique de cette sculpture : le matériel utilisé. C’est un calcaire crayeux, typique de la Champagne méridionale, qui par sa facilité d’extraction a permis le développement de la production de sculpture à la fin du Moyen Age. D’une certaine fragilité, c’est une pierre dont la tendreté permet une pleine exploitation de l’imaginaire et du talent des sculpteurs. Elle était donc très appréciée des artisans car facile à trouver et à travailler. Nous pouvons également voir sur l’arrière de la pièce, le système d’accroche en fer d’origine. À l’excellent état de notre pièce s’ajoute sa polychromie d’origine encore bien visible, qui accentue l’aspect émotionnel et solennel de cet ensemble.
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This limestone sculpture represents a Virgin of Pity: after the descent from the cross, Mary holds Jesus on her lap and notes the death of her child This very moving moment is not found in the Bible but is a representation of apocryphal writings. These sensitive themes spread in Europe with the monks and the movement of the Devotio moderna: a current of thought that appears in the Germanic area at the end of the fourteenth century before spreading in Europe. The primary desire of this movement is to reform the base of the Church, so that the faithful can reappropriate their relationship to Christ and to God by eliminating the intermediaries. Through various texts and works, we insist on the humanity of Christ and the holy figures to make them models of life and piety but accessible models. Thus faith becomes more active and Man becomes a source of his own salvation: earthly experiences are opportunities to imitate Christ during his own life on Earth, to act like him and thus merit salvation.
It was also during this period that devotion to the Virgin developed, notably through the theme of the Virgin of Pity, which met with great success throughout the 15th and 16th centuries in Northern Europe and Italy. It is the pain of the Virgin, the pain of a mother that is presented to the faithful through works of various sizes.
Addressing the spectators, Mary invites them to reflect and meditate: “I am addressing you, all of you who pass by here! Look and see if there is a pain like mine, like the one I was struck with! The LORD has afflicted me in the day of his fierce anger.” (Lamentations 1:12). Depending on the literary sources, the periods, the geographical areas and the demands of the commissioners, the Virgins can vary in their attitude: some lament, cry, pray, bend over the body of Christ or express a certain acceptance. Our Lady is distinguished by her great dignity and serene expression in the face of her son’s death: she accepts Jesus’ sacrifice to save humanity.
Our Virgin of Mercy is from Champagne. We can see this in the elongation of Christ’s limbs; in the youthful appearance of Mary, her young woman’s face despite her mature age; and in the idealization of the characters’ features (ovoid faces, almond-shaped eyes, fine features, small nose, rounded forehead for the women), which are characteristic elements of the sculpture of this region.
The treatment of textiles is also a recognizable element of Champagne sculpture. Indeed, after the Time of Misfortune that runs through the 15th century, Champagne finds a favorable political, social and economic situation. From this rich period which begins, the bourgeois merchants draw their pin from the game: the businesses prosper in the cities, in particular the textile environment which develops strongly. Wanting to give themselves areas of nobility, these bourgeois buy lands, titles, marry noble women and place orders for religious art as true patrons. It is therefore normal that the characters of the works they commission are richly dressed; and that the clothes are worked. On our work, besides Jesus wearing his traditional perizonium with a remarkable work done on the folds of the fabric; Mary wears a golden dress, a guimpe veil with chin strap, and is draped with a long blue mantle with golden border and red lining. The flap of this long coat is brought back on the front and covers the legs. Note the suppleness of the drapery and the rendering of the folds of the heavy fabric, which reflects the interest of the Champenois (and their patrons) in clothing and the textile industry.
Another characteristic element of this sculpture is the material used. It is a chalky limestone, typical of southern Champagne, which by its ease of extraction has allowed the development of sculpture production in the late Middle Ages. Of a certain fragility, it is a stone whose tenderness allows a full exploitation of the imagination and talent of sculptors. It was thus very appreciated by the craftsmen because it was easy to find and to work. We can also see on the back of the piece, the original iron hanging system. In addition to the excellent condition of our piece, its original polychromy is still clearly visible, which accentuates the emotional and solemn aspect of this set.